Quelle contribution du contrat-type à la promotion de l’arbitrage ?

Il est fréquemment souligné que le contrat-type est le fruit de la pratique. En effet, en l’absence d’une solution satisfaisante à l’échelle internationale, les communautés de professionnels ont trouvé « la réponse instinctive » aux problèmes du commerce international1 en mettant à la disposition des opérateurs internationaux des contrats-type, soit des modèles de contrats préétablis qui prévoient à l’avance les étapes des opérations commerciales ainsi que les droits et obligations des parties. Ces contrats-type favorisent la conclusion rapide des affaires et le recours à l’arbitrage2 qui est devenu le mode privilégié de résolution des litiges relatifs au commerce international, sans parler de leur utilité à la codification des usages dont ils s’inspirent et qu’ils inspirent.

Il est possible de se demander si le contrat-type, qui est souvent le fruit du consensus dans un groupement de professionnels d’une même branche ou d’une communauté commerçante internationale, ne pourrait jouer un rôle déterminant dans la promotion de l’arbitrage, de sorte que le recours à l’arbitrage s’impose lorsque les parties utilisent un contrat-type.

I. Le contrat-type : émanation des groupement de professionnels

Les commerçants sont pragmatiques et ont besoin de sécurité et de prévisibilité malgré l’évolution constante des pratiques, raison pour laquelle ils aspirent à la généralisation des standards dans le commerce et à l’existence d’un ensemble de règles uniformes tenant compte des pratiques.

Uniformité, union, unification. Ce sont depuis longtemps les mots à l’ordre du jour des réunions des commerçants qui s’efforcent de créer entre professionnels d’une même branche d’activité un climat d’union et cherchent à unifier les règles dans cette branche.

Cette préoccupation s’est manifestée depuis le début du XX siècle en France, quand les associations patronales se sont préoccupées d’assurer la défense des intérêts de leurs membres, notamment contre la concurrence étrangère, une autre mission consistant à faire connaître les pratiques propres à une branche3.

L’intérêt de cette unification est évident : si les membres de ces groupements professionnels adoptent les mêmes règles qui tiennent compte du caractère spécifique d’un tel ou tel contrat, bien des difficultés peuvent être évitées. Cette unification joue un rôle majeur pour le groupement lui-même qui, en proposant un cadre rassurant, s’en trouve fortifié.

Or, les règles corporatives sont formelles, et la partie qui cherche à s’y soustraire prend parfois les risques bien supérieurs aux avantages proposés pas le système.

A. Le contrat-type : un cadre qui rassure

En réalité, le contrat-type n’est pas un contrat mais un modèle de contrat proposé aux membres de la profession4 qui schématise les obligations des opérateurs par étapes et ce, pour assurer une prévention des risques de chaque composante des opérations commerciales. Ce contrat tire sa force obligatoire de sa reprise dans les contrats individuels, étant contrats d’adhésion5.

Le contrat-type émane généralement d’un groupe de travail constitué au sein d’une chambre de commerce, d’un syndicat professionnel ou d’un groupement professionnel. Ces groupements ont souvent la forme associative ou la forme syndicale car elle correspond à l’éthique des milieux professionnels pour lesquels la mise à disposition d’un contrat-type ou de l’arbitrage est avant tout un service rendu aux membres.

Le contrat-type peut être spécifique à une branche donnée ou non spécifique, comme par exemple le contrat-modèle de vente internationale qui tient compte de « tous les standards contractuels généralement acceptables et praticables » destiné à être utilisé indépendamment d’une branche professionnelle spécifique6.

Le contrat-type remplit, « sans aucun doute, une fonction de constatation des besoins de la pratique »7, étant également créateur de nouveaux usages.8 La pratique a eu besoin d’élaborer les textes propres à un milieu professionnel donné, pour régir certaines situations spécifiques dont le traitement est impossible d’être prévu par le législateur.

Dans cette optique, les groupements professionnels se sont organisés pour proposer différents outils et accroître la confiance de leurs membres, guidés par l’insécurité des marchés, dans leur recherche d’un comportement standardisé qui sécuriserait leur pratique contractuelle et d’une justice prévisible qui sécuriserait leurs transactions.

Pour suivre la pensée d’un auteur, « l’une des fonctions essentielles du droit du commerce international est de susciter un sentiment de sécurité chez les opérateurs entretenant des relations transfrontalières »9. Poursuivant cette logique, les contrats-type rassurent.

Pour répondre à ce besoin de réduire les incertitudes en minimisant les risques et les coûts des transactions, les organisations professionnelles proposent à leurs membres de conclure les transactions commerciales aux conditions générales des contrats-type édités par ces organisations qui bénéficient de la confiance des opérateurs. La référence au contrat-type permet d’éviter qu’un contrat commercial soit long et ambigu, puisqu’il comportera uniquement des conditions particulières en se référant pour toute autre condition au contrat-type. Cette modélisation permet de faciliter les négociations à partir de ces modèles de documents standardisés, d’améliorer le contenu des contrats et d’apprécier la normalité des comportements contractuels10.

Ces contrats ont souvent plusieurs éditions qui s’ajustent à l’évolution des réglementations, des législations, des pratiques de la filière et aux sentences arbitrales et qui révèlent parfois les contradictions des contrats aux pratiques ou à l’évolution des législations. Ils sont tenus à jour pour s’adapter aux diverses problématiques telles que les risques, les normes, l’affrètement etc. qui évoluent constamment.

Au-delà de l’adhésion au contrat-type, les organisations professionnelles doivent déployer des efforts pour créer l’adhésion à un système plus large.

Il s’agit en effet d’un véritable système : un groupement édite le contrat-type dont le respect est assuré par le recours à l’arbitrage. Souvent, le respect de ces règles est assuré par les arbitres « techniciens » qui connaissent ces règles contractuelles et les pratiques. Comme le contenu de ces contrats-type est assez précis, il est extrêmement rare que les arbitres sortent du cadre du contrat pour trouver la réponse.

Ceci étant dit, il arrive parfois que les arbitres doivent interpréter le contrat. Afin de trouver une réponse aux questions qui se posent, ils peuvent rechercher les éléments de solutions dans le droit national auquel le contrat-type peut renvoyer.

L’exécution de la sentence rendue est également contrôlée par le groupement qui édite, soit dans le contrat type, soit dans le règlement intérieur, les sanctions de son inexécution.

Le groupement propose souvent d’autres services, tels que, par exemple, la formation ou la mise à disposition des clauses optionnelles, des guides de l’expertise, des guides des bonnes pratiques, une diffusion de divers documents (liste des laboratoires agrées, liste des experts, les méthodes d’analyses, liste des sociétés d’inspection agrées, liste des experts etc)11.

Enfin, ce groupement assure la promotion des contrats-type et des clauses d’arbitrage qu’ils comportent systématiquement.

Il convient d’indiquer que ces contrats-type sont généralement proposés dans un contexte international. Et c’est là où réside son intérêt : disposer des mêmes règles dans tous les pays et faire ainsi face « à des situations régies par des sources très parcellisées de droits étatiques »12.

Le recours aux contrats-type est alors un moyen d’apporter une solution uniforme internationale car ces contrats-type permettent d’organiser les opérations commerciales sur la base des clauses-types universelles que les opérateurs utilisent, quelques soit la loi applicable.13

La particularité du commerce internationale réside dans la liberté des parties de choisir la loi applicable mais qui dit loi, dit « juge ». Prévoir de résoudre directement les différends sans recourir au juge par voie d’arbitrage permet une homogénéité des approches d’un problème par les arbitres. Dans cette logique, il faut situer les propos d’un auteur : « l’exclusion de la compétence des juridictions étatiques pour connaître de certains litiges peut permettre de maintenir une interprétation uniforme des contrats-type ou des conditions générales »14. En effet, les contrats-type permettent d’éviter des solutions hétérogènes proposées par les droits nationaux.

En l’absence d’une clause d’arbitrage, la problématique réside dans la liberté pour le juge étatique d’appliquer la loi interne au contrat qui pourrait être désignée par les règles de conflit de lois que le juge saisi appliquera à une relation internationale. Dans le cadre de l’arbitrage sectoriel, les arbitres vont certainement appliquer la règle matérielle sectorielle car « elle donne immédiatement une réponse à une question posée et ne se contente pas de désigner l’ordre juridique d’où procédera la règle de droit qui régira la situation juridique »15, ce qui permettra d’obtenir des décisions cohérentes et transnationales sur les questions similaires.

Ainsi, bien de difficultés, comme c’était le cas dans l’affaire suivante, pourraient être évitées. En l’espèce, un mandant bulgare et un agent maritime belge ont choisi la loi bulgare. La Cour de justice européenne a estimé que l’application de cette loi (la loi du contrat), bien que conforme à la directive européenne du 18 décembre 1986 relative aux agents commerciaux, pouvait être écartée dans un autre Etat-membre au profit de la loi belge (la loi du for), dès lors que le législateur de cet Etat-membre estimait « crucial au sein de l’ordre juridique concerné d’accorder à l’agent commercial une protection allant au-delà de celle prévue par la directive… » 16. Si les arbitres, qui ont reçu la mission des parties de trancher le litige conformément au contrat, étaient amenées à écarter la loi choisie par les parties, ils dérogeraient au choix exprès des parties en appliquant la loi autre que celle prévue au contrat, et la sentence serait annulée.

De même, les contrats-type facilitent les solutions en proposant le recours aux arbitres pour éviter de s’interroger surle juge compétent désigné par le juge compétent en vertu de l’application des conflits de juridictions puisque les arbitres sont libres dans la vérification de leur propre compétence en vertu du principe « compétence-compétence ».

Les contrats-types sont donc développés par les groupements professionnels afin de rassurer leurs membres. Mais il ne faut pas oublier que des mécanismes coercitifs peuvent également être utilisés par ces groupements pour mieux assurer la cohésion du système.

B. Le contrat-type : un monde clos qui impose ses règles

Si l’appartenance à un organisme professionnel permet de bénéficier d’un ensemble de services dont l’accès aux contrats-type et à l’arbitrage, cette appartenance implique l’adhésion à l’ensemble des normes de fonctionnements et règles auxquelles il est difficile de se soustraire.

Les organisations professionnelles tiennent à ce que les sanctions corporatives soient sévères. Par exemple, certains contrats-type ou codes d’usages comportent des clauses qui autorisent les syndicats à diffuser « une liste rouge » des parties qui n’exécutent pas les sentences. Tous les membres adhérents à ces syndicats savent ainsi qu’une telle ou telle partie est condamnée.17 Dans ce cas de figure, l’inexécution de la sentence pourrait mettre en péril la réputation du membre qui n’exécutera pas la sentence ou facilitera son exclusion du syndicat.

De façon générale, l’entreprise récalcitrante qui serait tentée de se désolidariser de l’organisme corporatif auquel elle appartient, risque de se voir exclue du marché concerné18.

Ces obligations corporatives, pour être efficaces, comportent des sanctions dissuasives en cas d’inexécution des contrats.

Prenons un exemple. Un taux excessif prévu par un contrat-type pour sanctionner une faute du débiteur qui ne respecte pas ses obligations outrepasse-il son caractère dissuasif en raison de son taux élevé ? Mérite-t-il donc modération ou préserve-t-il ce caractère?

La meilleure illustration en est fournie par l’article XIV.D des contrats-type INCOGRAIN utilisés dans la vente des céréales qui stipule que « …En cas de retard de paiement, l’acheteur …est également redevable, de plein droit … et sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure, d’une pénalité de 0,15% du prix de facturation toutes taxes comprises par jour courant de retard ainsi que d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement … »19.

Les arbitres seront certainement plus enclin à considérer, surtout dans un contexte international, que si ce contrat-type, bien connu des professionnels du commerce céréalier, est acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, qui, en règle générale n’élève aucune objection à son application en signant le contrat sans réserve, l’article précité et spécialement la pénalité de 0,15% par jour de retard devrait s’appliquer. D’ailleurs, il convient d’ajouter que les «punitive damages » sont licites en droit international à condition de justifier du caractère raisonnable du montant de la condamnation20.

Si le contrat-type propose une harmonisation des pratiques commerciales et la création de règles communes, une autre question qui se pose est de savoir: communes à qui ? Une chose est sûre : les contractants doivent faire partie de ces groupements car celui qui n’y a pas adhéré ne pourrait se voir opposer une sanction qu’il ignore. Cette difficulté peut être tournée par une référence à un contrat type à condition que la partie à laquelle on oppose ce contrat-type en a eu préalablement connaissance.

On sait par exemple que les juridictions étatiques admettent que les arbitres appliquent les usages édictés par les organismes de la profession21, d’ailleurs même en l’absence de référence expresse des parties à ces usages.22 Une telle solution est également compatible avec la Convention de Vienne23.

Les arbitres recherchent dans chaque cas particulier la volonté des parties et se fondent sur les documents qui permettent d’établir que le contrat a bien été conclu aux conditions d’un contrat-type.

A côté des contrats-types, on trouve des règles professionnelles. Selon la jurisprudence, une entreprise qui ne fait pas partie d’un syndicat, laquelle a édité un code de conduite, ne peut se voir imposer son respect24.

Enfin, un risque pourrait apparaître dans un groupement trop fermé, auquel cas ce groupement pourrait être dominé par certains intérêts qui se retrouvent en position dominante qui « verrouillent » le système. La clause compromissoire pourrait devenir dans ce système fermé un outil destiné à servir ces intérêts dans lesquels les arbitres ne seraient que les exécutants de la volonté de ce groupement qui contrôlerait totalement l’activité de ses membres. En revanche, une union de plusieurs professions permet de prendre plus d’indépendance vis-à-vis de ses membres.

Il ne faut pas oublier que les groupements professionnels autonomes créent des règles propres à chaque filière, et le respect de ces règles est assuré par les arbitres. L’arbitrage apparaît comme une « sanction » des règles ainsi éditées, et le contrat-type constitue un support de la jurisprudence arbitrale. Le contrat-type a donc besoin de l’arbitrage pour que les arbitres appliquent les dispositions des contrats-type et pour être généralisé et tendre vers la codification d’usage. Inversement, l’arbitrage peut être promu par le contrat-type qui en serait la règle en faisant tout pour que les parties le choisissent pour le règlement de leurs différends.

II. Le contrat-type comme facteur de développement de l’arbitrage

Plusieurs facteurs ont contribué au développement de l’arbitrage. Mentionnons notamment deux facteurs suivants : la diffusion des contrats-type et les solutions dégagées par les arbitres.

A. la promotion de l’arbitrage par la diffusion des contrats-type

Très concrètement, les contrats-type contribuent à la promotion de l’arbitrage parce qu’ils en constituent le support central. Les opérateurs qui choisissent le contrat-type, adhérent nécessairement à l’arbitrage pour le règlement de leurs différends.

Masaichiro ISHIZAKI écrit que les deux premières forces lui auraient permis de constater un véritable droit commun, même si ce n’est point celui à la recherche duquel il était parti : « mais, en même temps que se dérobait le super droit commun législatif ou judiciaire de la vente commerciale à la recherche duquel nous étions vainement partis, nous voyions se révéler un droit international de la vente de soies d’une teinte et d’une complexion universaliste beaucoup plus solide. Ce droit commercial corporatif, qui se dresse en lutte, et en lutte généralement victorieuse, grâce à l’arme de l’arbitrage, contre le droit commercial fait par le législateur, les juges et les juristes, se présente, en effet, sous la forme d’un droit déjà international dans ses grandes lignes » 25. Cette autorégulation des milieux professionnels est certainement l’une des raisons du succès de l’arbitrage corporatif.

Les contrats-type, crées par les professionnels pour leurs besoins, se sont progressivement imposés dans plusieurs secteurs. Ces contrats-type comportent souvent une clause d’arbitrage, ce qui est très bénéfique au développement de l’arbitrage.

Chaque organisme professionnel ayant un intérêt commun de ses membres édite des règles propres à un domaine donné créant ainsi « la pluralité des droits corporatifs »26. Ces règles matérielles, créées par certains acteurs du monde économique, ne s’appliquent que pour eux, et le respect de ces règles est assuré par les arbitres, « un organe de la lex mercatoria »27 qui veillent aux besoins d’une branche de commerce donné. L’arbitrage est ainsi devenu un mode usuel de résolution des litiges des opérateurs économiques dans plusieurs secteurs économiques parce que les opérateurs ne se préoccupent pas de négocier cette clause, faisant confiance au groupement professionnel qui la propose. L’arbitrage dans ce cadre est banalisé et démocratisé.

Ce phénomène a déjà eu lieu pour l’exploitation du pétrole : la lex petrolea [une branche particulière de la lex mercatoria] a été créé par les sociétés pétrolières et s’impose à cette même société sous peine d’application forcée par les arbitres internationaux28. Plus récemment, l’existence de la lex constructionis a été démontrée. Ce droit autonome a les sources diverses et en particulier les contrats-type, et issu d’une communauté du secteur de la construction auquel s’applique la lex constructionis29. Les questions relevant de ce domaine sont soumises aux arbitres30. Entre autre, l’arbitrage est privilégié en matière spatiale31, et le Règlement facultatif pour l’arbitrage des différends relatifs aux activités liées à l’espace extra-atmosphériques prévoit le recours à l’arbitrage institutionnel32.

Un système similaire et particulièrement abouti peut être constaté dans le commerce international des céréales, dans lequel l’uniformité a été étendue aux contrats, charte-partie, connaissements, polices d’assurance et autres documents qui prévoient tous le recours à l’arbitrage institutionnel (jamais l’arbitrage ad-hoc ou la médiation33). L’explication tient à ce que les premières codifications concernaient des produits de base (minerais, céréales, textiles) qui donnaient lieu aux échanges internationaux se faisant par la voie maritime34.

En pratique, chaque organisme professionnel qui édite les contrats-type encourage la conclusion des transactions aux conditions de ces contrats-types et met à disposition des contractants une clause d’arbitrage désignant un centre d’arbitrage indépendant ou qui lui est « rattaché » pour tout litige relatif au contrat-type. Ce faisant, ils favorisent la circulation des clauses d’arbitrage dans le monde à travers ces contrats-type. Le succès de cet encouragement favorise le développement et la démocratisation de l’arbitrage.

De manière générale, le processus de la promotion de l’arbitrage est promu d’une manière considérable par les séminaires, expositions, bourses, salons professionnels où les opérateurs économiques de la même branche en provenance de différents pays discutent des problèmes de leurs filières, des problèmes nés de l’application des contrats-type et déterminent les voies selon lesquelles il est possible de les résoudre.

La promotion de l’arbitrage passe par un dialogue engagé avec les pouvoirs public, les administrations et les instances décisionnaires35. La promotion de l’arbitrage vise aussi l’aménagement d’un cadre législatif et judiciaire favorable36.

Les centres d’arbitrage eux-mêmes jouent un rôle de « support » important: d’une part, ils sécurisent les transactions à travers la fonction juridictionnelle des arbitres et, d’autre part, assurent la promotion de l’arbitrage comme un instrument de garantie de la sécurité des transactions.

En effet, la promotion se fait à travers la fonction des institutions d’arbitrage. La plupart d’entre elles mettent tout en œuvre pour s’assurer que les sentences rendues par les arbitres sous leur égide constituent un investissement37, parce que le contrat n’a aucune valeur patrimoniale si la sentence est annulée par les juridictions38. Dans cette logique, les institutions d’arbitrage capables d’administrer correctement les procédures d’arbitrage et d’assurer la fiabilité juridique des sentences participent à la promotion de l’arbitrage. Il va de soi que dans un contexte de concurrence accrue, les groupements professionnels ont tout intérêt à proposer les services des institutions d’arbitrage sérieuses.

Au-delà de la promotion de l’arbitrage par la diffusion des contrats-type, il est possible de s’interroger sur l’impact des décisions des arbitres sur la promotion de l’arbitrage.

B. L’impact des décisions des arbitres sur la promotion de l’arbitrage

Les décisions des arbitres sont souvent à la disposition des acteurs de l’arbitrage puisque certains centres d’arbitrage publient les extraits de sentences anonymes. Elles ne sont pas opposables aux tiers, elles ne lient que les parties mais compte tenu de la standardisation des contrats, « les solutions rendues dans une espèce auront assez facilement vocation à s‘appliquer à d’autres. Ce mimétisme limitera le nombre de contentieux »39, et augmentera la crédibilité des groupements professionnels qui offrent ainsi le cadre contractuel rassurant à leurs membres. Dès lors, le contrat-type devient un outil de marketing.

Il convient de comprendre que les arbitres, veillent à l’efficacité des sentences qu’ils rendent. D’ordinaire, dans leurs décisions, ils auront tendance à prendre en compte la fonction globale de l’opération économique et adopter une approche pragmatique des contrats litigieux. On observe également que les arbitres privilégient la sécurisation de la relation contractuelle.

L’existence d’une force majeure en est un exemple éclairant. Les arbitres la retiennent avec une certaine réticence, par exemple si les parties l’ont déjà admise d’un commun accord. Le risque spéculatif qui tient à des variations des cours des matières premières agricoles ne constituent jamais des cas de force majeur. De même que les difficultés économiques du débiteur. Il a été décidé que le manque de wagon pour acheminer la marchandise au port d’embarquement ne constitue pas un événement imprévisible, « il revenait au vendeur de réserver et mettre en œuvre tout mode de transport de quelque nature qu’il soit assurant le préacheminement de ces marchandises »40.

Un autre exemple permet de constater que les solutions élaborées par les arbitres sont en adéquation avec les besoins des marchés. Normalement, les opérateurs du commerce international cherchent devant les arbitres à obtenir réparation de tout ou partie du préjudice réel. Le contrat-type proposé dans le domaine de céréales, marchandise cotée, prévoit un  mode conventionnel de détermination du préjudice, indépendant du mode réel,  à savoir le paiement par le débiteur de la différence entre le prix du contrat et le cours de la marchandise le jour de l’inexécution du contrat. La position des arbitres est la suivante : « la différence de prix est une indemnité conventionnelle que les formules de Paris substituent à l’indemnisation du préjudice réel. Les parties peuvent convenir à tout moment d’une indemnisation différente »41. Ainsi, une jurisprudence cohérente sur ce point permet certainement d’éviter de nombreux recours à l’arbitrage.

En effet, le mérite de la jurisprudence arbitrale est d’avoir élaboré une conception cohérente de l’indemnisation du préjudice, « souvent inspiré par des constatations économiques »42, comme la règle limitant la réparation du dommage contractuel prévisible ou l’obligation de minimiser le dommage43.

Enfin, on pourrait citer la théorie du mandat apparent selon laquelle le mandant est lié par les actes de son mandataire même si celui-ci a outrepassé ses pouvoirs. Il a été jugé que cette théorie « peut être invoquée lorsque le représentant officiel de la société a agi en son nom, que la partie avec laquelle il a contracté des bonne foi, et que la société a laissé croire que son représentant officiel avait le pouvoir de compromettre »44. Une autre décision ajoute que « le contrat de mandataire social régissant la question des pouvoirs internes de la Défenderesse n’était pas opposable à la Demanderesse, qui n’était en conséquence pas tenue d’en connaître les termes »45. Dans cette affaire il a été jugée que la Défenderesse qui n’a pas interdit à un mandataire de conclure les contrats et qui n’a pas contesté avoir reçu le solde créditeur d’opérations de même nature que les contrats litigieux selon un mode opératoire similaire, « ne pouvait valablement ignorer la conclusion de tels contrats ainsi que des contrats litigieux puisqu’ils ont donné lieu à différents paiements de sommes importantes dont le Tribunal arbitral estime qu’ils devaient apparaître dans les comptes de la Défenderesse ou, à tous le moins, être connus d’elle »46.

A cet égard, ajoutons que si fondamentalement, le juge pourrait aboutir à la même conclusion, l’arbitre tiendra plus compte du contexte, de l’intérêt de l’opération économique et des contraintes économiques. Plus généralement, il apparaît que l’arbitre examinera d’abord l’économique pour le confronter au juridique par la suite.

Il n’en est pas moins vrai que chaque groupement professionnel souhaite être économiquement développé. Pour ce faire, il établira sa stratégie de développement et de promotion des contrats et de l’arbitrage mais suivra dans une large mesure le sort du produit commercialisé ou des changements structurels dans sa branche, voire dans l’économie mondiale, et ce développement sera absorbé sous la prédominance des facteurs conjoncturelles.

III. Le contrat-type et l’arbitrage dans le domaine de l’agriculture

Plusieurs filières agro-alimentaires sont construites sur les contrats-type comportant un ensemble de règles qui leur sont propres et une clause d’arbitrage. Ces règles complètent les stipulations contractuelles particulières telles que la marchandise, qualité, quantité, prix, période et lieu de livraison.

On peut citer à titre d’exemple, les formules INCOGRAIN et RUFRA, édités par le Syndicat de Paris du commerce et des industries des grains47, les contrats GAFTA, proposés par l’association Grain and Feed Trade Association située à Londres, le COFREUROP édités par INTERFEL, le COFREL (Code d’usages pour le commerce des Fruits et Légumes), édités par l’UNCGFL, les Règles et usages de l’International Seed Fédération située à Genève, les contrats INSHLTA applicable au commerce des cuirs et peaux.

Prenons l’exemple des contrats INCOGRAIN qui sont établis par des groupes de travail qui réunissent les représentants des vendeurs, acheteurs, transporteurs, courtiers, laboratoires et sociétés d’inspection. Ils sont réputés pour un équilibre entre les intérêts des vendeurs et ceux des acheteurs, résultant de négociations et de consensus entre leurs représentants.

Il existe plusieurs formules établies selon les conditions de vente, sur la base des Incoterms (ventes au départ et ventes à l’arrivée), les marchandises (blé, orge, maïs…) et les modes de transport (bateaux, camions, wagons, péniches). A titre d’exemple, le contrat Incograin le plus utilisé est intitulé « n°12- CAF Maritime ».

Toutes les formules existent en français et les formules maritimes, destinées à être utilisées à l’international, sont traduites en d’autres langues (italien, espagnol, allemand, russe, arabe). Les addendas techniques fixent ensuite les normes de qualité et de tolérance.

L’objectif affiché par ce syndicat est de recenser les usages commerciaux et de les intégrer dans les contrat-type mais aussi de réglementer le commerce des céréales impliquant les céréales françaises, de protéger les divers intérêts des importateurs, négociants, acheteurs et fournisseurs, agents et courtiers48. L’existence d’organisations professionnelles adhérentes rafraichit le consensus. Dans ces derniers temps, ce syndicat s’est appliqué à la sécurisation du commerce en accréditant les sociétés de contrôle et des laboratoires d’analyse afin d’apporter aux cocontractants des garanties supplémentaires.

Ce syndicat propose le concours de la chambre arbitrale internationale de Paris qui intervient dans la résolution de litiges résultant des ventes des céréales. L’arbitrage est largement pratiqué dans ce domaine notamment en raison d’une grande volatilité des prix.

L’exécution de la sentence est assurée par ce Syndicat. Tous les contrat-type prévoient la clause suivante : «  REFUS D’EXECUTER UNE SENTENCE ARBITRALE – Si la partie qui succombe dans un arbitrage refuse d’exécuter la sentence, l’autre partie aura le droit de demander au Syndicat de Paris de faire publier le nom de cette partie par lettre circulaire adressée à tous ses adhérents et par affichage sur le site Internet du Syndicat de Paris. Le Syndicat de Paris avisera la partie en cause de la demande de l’autre partie … en lui donnant un délai de vingt jours courants pour exécuter la sentence…»49.

Enfin, le monde des céréales s’est doté de bourses, d’organisations professionnelles ou interprofessionnelles, des laboratoires, de congrès, de réunions et de journaux, par exemple « La Dépêche-le petit meunier ». Ces organisations ont tissé un réseau complexe et cohérent qui pratique depuis longtemps la mondialisation et … l’arbitrage.

1 PHILIPPE KAHN, La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses, Revue de droit de McGill, McGill Law Journal, 1992

2 EDOUARD STIEGLER, Guide du commerce des céréales en France et dans le monde, le Courrier du Commerce, 1957

3 PIERRE MALINVERNI, Les conditions générales de vente et les contrats-type des chambres syndicales

4 PIERRE MALINVERNI, Les conditions générales de vente et les contrats-type des chambres syndicales, Librairie générale de droit et de jurisprudence, Paris, 1978

5 GERARD CORNU (dir)., Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Contrat-type, PUF-Quadridge, 2016

6 Contrat Modèle ICC de vente internationale (produits manufacturés), ICC Publications 2013

7 FILALI OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria, thèse de doctorat

8 Ibid

9 FILALI OSMAN, op.cit.

10 Sous la direction de PIERRE MOUSSERON,  Les usages : l’autre droit de l’entreprise, LexisNexis, 2014

11 http://www.filiere-laitiere.fr: www.incograin.com; www.gafta.com; www.worldseed.org (consulté le 7 décembre 2018)

12 PHILIPPE KAHN, La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses, Revue de droit de McGill, McGill Law Journal 1992

13 ERIC LOQUIN, Règles matérielles du commerce international et droit économique, http://www. cairn.info (consulté le 7 décembre 2018)

14 FILALI OSMAN, op.cit.

15 ERIC LOQUIN, op.cit.

16 CJCE, Unamar, 17 oct. 2013, aff. C184/12, D.2014, p.60, L. D’AVOUT, p.893, obs. D. FERRIER 

17 Par exemple, l’article 13 du Code RUCIP http://www.rucip.eu  : « Si la partie qui succombe dans un arbitrage refuse d’exécuter la sentence, l’autre partie aura le droit de demander au Comité européen de faire publier le nom de cette partie, en indiquant les éléments essentiels de la sentence, dans les journaux, bulletins ou autres organes des organisations compétentes pour la désignation des Comités nationaux, ainsi qu’auprès des organismes tels que les assurances crédit. Le Comité européen avisera la partie en cause de la demande de l’autre partie par lettre recommandée en lui donnant un délai de 20 jours pour exécuter la sentence. Passé ce délai, le Comité européen procédera à cette publication. La partie qui, malgré ce délai supplémentaire n’aura pas exécuté la sentence s’interdit formellement de ce fait tout recours contre ou au sujet de cette publication. Les frais de publication de la sentence sont à la charge de la partie défaillante et aux frais avancés du demandeur. » (consulté le 7 décembre 2018)

18 JEAN THIEFFRY et CHANTAL GRANIER, La vente internationale, Centre Français du commerce extérieur, 1985

19 www.incograin.com

20 OLIVERA BOSKOVIC, La réparation du préjudice en droit international privé, LGDJ, 2003, p.408

21 Cass.com. 2 mai 2001, RUCIP

22 FIS, CA Montpellier, 3 déc. 2002, Pujol

23 article 9 de la Convention sur les contrats de vente internationale de marchandise de 1980

24 Cass. com., 29 juin 1993

25 MASAISHIRO ISHIZAKI, Droit corporatif international de la vente de soie, Paris, MARCEL GIARD, 1928, avant-propos, pp.13-14.

26 PAUL LAGARDE, Approche critique de la lex mercatoria, p.136 in : Etudes offertes à Berthold Goldman, Paris, 1987

27 Ibid, p.147

28 ALFREDO DE JESUS, The prodigious story of the lex petrolea and the rhinoceros philosophical aspects of the transnational legal order of the petroleum society, disponible sur htpp://adejesus.com (consulté le 7 décembre 2018)

29 ALI BENNANI,  Les contrats FIDIC, fondement d’une lex constructionis en devenir, Les Cahiers de l’Arbitrage, 2012-1

30 CHRISTOPHER R. SEPPALA, International Construction Contract Disputes : Third commentary on ICC Awards Dealing primarily with FIDIC contracts, Bulletin ICC, p.23

31 LAURENCE RAVILON, Le contrat de l’industrie spatiale à l’épreuve du contentieux étatique et arbitral, Conférence association droit et commerce Tribunal de commerce de Paris 13 mai 2013

32 http:// www.pca-cp.org (consulté le 7 décembre 2018)

33 DEREK KIRBY JOHNSON, International commodity arbitration, LLP, 1991

34 PHILIPPE KAHN, La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses, Revue de droit de McGill, McGill Law Journal, 1992

35 SEVERINE MENETREY, Le réseau associatif : un exemple de marketing arbitral, Rev.arb.2012.741

36 Ibid

37 LUKAS.A.MISTELIS, Award as an Investment : the value of an Arbitral Award or the Cost of non-enforcement; ICSID Review, Vol.28, No 1 (2013)

38 EMMANUEL GAILLARD, L’arbitrage international : la valeur patrimoniale de la clause d’arbitrage, http://annales.org (consulté le 1er août 2018)

39 MARIE BOURDEAU, AURELIE BRES, LISE CHATAIN-AUTAJON, (et al.), sous la direction de Pierre MOUSSERON, Les usages : l’autre droit de l’entreprise, LexisNexis 2014

40 htpp://www.arbitrage.org/fr/publications/sentences-arbitrales (consulté le 12 décembre 2018)

41 htpp://www.arbitrage.org/fr/publications/sentences-arbitrales. Diffusion n°3, extraits de sentences année 1982-1983 (consulté le 12 décembre 2018)

42 JEROME ORTSCHEIDT, La réparation du dommage dans l’arbitrage commercial international, Dalloz 2001

43 Ibid

44 Sentence CAIP n°9246, htpp://www.arbitrage.org/fr/publications/sentences-arbitrales (consulté le 12 décembre 2018)

45 Sentence CAIP n°3193, Yearbook Comm. Arb.’n XLI (2016)

46 Idem

47 Ancienne Chambre Syndicale des Grains et Farines née en 1986 et qui disposait d’une commission d’arbitrage, future Chambre Arbitrale de Paris, créée en 1926

48 Statuts du Syndicat de Paris de 2013, htpp://www.incograin.com

49 http://www.incograin.com

 

Publié dans la Revue de droit des affaires internationales n°6, Décembre 2019