La saisine d’un centre d’arbitrage

Avant-propos

L’arbitrage institutionnel présente la particularité d’interposer un organe entre le tribunal arbitral et les parties, lequel organise l’arbitrage1 « en conformité à ses statuts et à son Règlement »2.

Il existe donc un double champ de compétence en matière d’arbitrage institutionnel : avant que le tribunal arbitral ne soit constitué et qu’il soit saisi du litige, les parties doivent saisir le centre d’une demande d’arbitrage.

La demande d’arbitrage doit respecter les formes imposées par le règlement du centre. Une formalité supplémentaire pour que la saisine du centre soit effective doit être accomplie : le paiement par les parties d’une provision sur les frais estimés d’arbitrage (I).

Le centre d’arbitrage est saisi par une demande d’arbitrage sur le fondement d’une convention d’arbitrage (clause compromissoire ou compromis). Ainsi, au tout début de la procédure, le centre se prononcera sur sa propre compétence à organiser l’instance arbitrale. Il vérifiera alors, d’une part, l’existence d’une convention d’arbitrage, par laquelle les parties ont exprimé leur volonté de soumettre tout litige à un arbitrage et, d’autre part, la désignation exacte de l’institution devant laquelle les parties souhaitent recourir. Il vérifiera également que la convention d’arbitrage s’applique aux parties présentées comme telles dans la demande d’arbitrage (II).

  1. Les conditions de forme

Le centre d’arbitrage reçoit les demandes d’arbitrage qui lui sont adressées par les parties. Pour que le centre soit effectivement saisi, ces demandes devront respecter les règles formelles stipulées par son règlement (A) afin d’éviter d’encourir les sanctions en cas d’une irrégularité apparente de cette demande (B).

A. Les formalités de saisine imposées par les règlements d’arbitrage

Les formalités de saisine, que le centre sera chargé de vérifier, sont explicitement prévues par son règlement d’arbitrage. Elles portent, en principe, sur la demande elle-même qui doit comporter un certain nombre d’éléments (1), sur la réponse à cette demande (2), ainsi que sur les frais d’arbitrage (3).

  1. Les formalités relatives à la demande d’arbitrage

L’arbitrage commence par l’introduction d’une demande d’arbitrage formulée en vertu d’un compromis ou d’une clause compromissoire faisant mention de l’intervention du centre et de l’application de son règlement.

La demande d’arbitrage se définit comme l’acte par lequel l’un des cocontractants informe le ou les autres cocontractants de son intention de recourir à l’arbitrage pour faire trancher le litige né de leurs relations contractuelles en se prévalant de la convention d’arbitrage convenue3

La demande d’arbitrage est adressée directement au centre d’arbitrage. Une particularité prévue par le règlement de la Cour européenne d’arbitrage et de médiation est à noter : pour les arbitrages de droit interne spécifiques à chaque pays, le dépôt de la demande ou du compromis doit être effectué auprès du Secrétariat de la délégation nationale compétente, si elle existe. Dans tous les autres cas, la demande ou le compromis doit être déposé auprès du Greffe International compétent de la Cour arbitrale.

La procédure d’arbitrage commence au jour de la réception de la demande par le centre bien que rares sont les règlements qui le précisent expressément.

Les règlements ne prévoient pas toujours par quel moyen la demande est adressée au centre d’arbitrage et à la partie adverse, mais l’essentiel est que sa réception puisse être établie. La demande d’arbitrage n’est soumise à aucune forme autre que celle prévue par le règlement, accepté par les parties.

Les règlements d’arbitrage prévoient généralement peu de formalisme. Cette demande contient généralement pour un enregistrement complet les noms et adresses des parties, l’objet de la demande, l’exposé sommaire des faits, l’état civil ou la raison sociale des parties, le cas échéant, le nom et les adresses des conseils, la proposition du demandeur quant au nombre des arbitres, ou l’indication de l’arbitre que le demandeur propose de désigner lorsque les parties ont convenus de trois arbitres.

Dans la plupart des cas, la demande d’arbitrage est un document assez court ne dépassant pas tout au plus une dizaine de pages, puisque son objectif est d’introduire l’instance, d’expliquer la raison de l’arbitrage et de voir se constituer un tribunal arbitral. La demande d’arbitrage n’est pas destinée à exposer tous les arguments – le demandeur aura l’opportunité de les développer ultérieurement. D’ailleurs, le demandeur peut saisir le centre d’une demande d’arbitrage très succincte pour des raisons tactiques : réduire le temps de préparation du dossier et débuter la procédure le plus rapidement possible.

Selon certains règlements, bien que cela ne soit pas l’usage, les avocats doivent produire à ce stade un pouvoir spécial les habilitant à représenter la partie dans un arbitrage donné et à accomplir les actes nécessaires pour leur compte.

Souvent, la demande d’arbitrage comporte le nom de l’arbitre désigné par le demandeur et/ou l’indication relative au nombre des arbitres.

  1. Les formalités relatives à la réponse du défendeur à la demande d’arbitrage

La demande d’arbitrage peut être soumise soit unilatéralement par le demandeur, soit conjointement par les deux parties.

Dans le cas d’une demande unilatérale, il reviendra au centre d’arbitrage régulièrement saisi de notifier cette demande d’arbitrage au défendeur. Cette formalité de notification est prévue par tous les règlements d’arbitrage, unanimes sur ce point.

En effet, le défendeur à l’arbitrage doit avoir l’opportunité de répondre à la demande de son adversaire. Le centre va s’assurer donc qu’il soit averti de la requête du demandeur de l’assigner devant une juridiction arbitrale, il va vérifier que la notification est bien parvenue au destinataire. Une fois averti, il aura alors la possibilité de répondre au demandeur, ou de ne pas répondre.

Tous les règlements d’arbitrage comportent des dispositions relatives à cette réponse, ou à l’absence de réponse du défendeur.

S’il décide de répondre à la demande, il devra présenter un exposé sommaire des circonstances de la cause (des faits de l’espèce), ses observations et moyens de défense succincts et faire connaitre sa position sur le nombre des arbitres, les modalités de leur choix, et, le cas échéant, désigner son arbitre.

Il aura aussi la possibilité de présenter au centre d’arbitrage une demande reconventionnelle.

Cette réponse, et toute demande reconventionnelle, devra alors se faire dans un certain délai à compter de la notification de la demande d’arbitrage : ce délai est quasi unanimement d’un mois, ou parfois plus précisément de quatre semaines, voire de trente jours.). La réponse à la demande d’arbitrage est adressée au centre.

En cas d’absence de réponse de la part du défendeur dans le délai prévu, les règlements d’arbitrage prévoient unanimement que la procédure se tiendra en l’état. L’absence de réponse du défendeur n’est en aucun cas un motif de blocage de la procédure. La procédure sera poursuivie, et le centre saisira un tribunal arbitral pour entendre du litige. Néanmoins tous les actes de procédure et les pièces continueront de lui être adressé.

  1. La formalité liée au paiement des frais d’arbitrage, préalable à la saisine effective du centre

Une fois la demande d’arbitrage enregistrée, le centre devrait en principe saisir un tribunal arbitral du litige. Mais en pratique, une autre formalité doit être effectuée par les parties avant que le centre ne soit en mesure de constituer le tribunal arbitral et de mettre en œuvre l’instance arbitrale : le paiement de la provision des frais d’arbitrage.

Ces frais d’arbitrage ont pour fondement les règlements d’arbitrage qui établissent, selon un barème, leur mode de calcul ainsi que leur modalité de paiement.

La quasi-unanimité des règlements d’arbitrage prévoient que pour que la saisine du centre soit effective, une provision de ces frais devra être versée par le demandeur à l’institution. En l’absence de paiement de cette provision, l’institution refusera de se saisir de l’affaire et de confirmer la constitution du tribunal arbitral. En effet, si la formulation des règlements n’est pas la même, la majorité des centres prévoient que l’instance arbitrale ne peut être continuée sans le versement de cette provision. En conformité avec la plupart des règlements, les parties règlent les frais d’arbitrages par parts égales. En cas de non-paiement par l’une des parties de verser la part qui lui incombe, l’autre ou les autres parties peuvent pallier cette défaillance.

B. Les sanctions encourues en cas de saisine irrégulière

Généralement, les règlements d’arbitrage ne prévoient aucune sanction de la non-conformité de la demande d’arbitrage aux dispositions du règlement. Mais notons que l’obligation pour le centre d’arbitrage d’organiser l’arbitrage n’existe que si la demande d’arbitrage est conforme au règlement d’arbitrage4.

Le centre saisi d’une demande d’arbitrage vérifie sa régularité apparente. A l’issue de cette vérification, s’il estime qu’il est régulièrement saisi, il va enregistrer la demande et lui attribuer un numéro de dossier.

En pratique, lorsque la demande apparaît irrégulière au centre saisi, celui-ci va inviter le demandeur à régulariser la demande et accorder un délai pour lui permettre de satisfaire aux exigences du règlement, sans pour autant la rejeter.

Lorsque la demande ne respecte pas les formes requises par le règlement d’arbitrage, et si le demandeur ne la régularise pas dans le délai imparti, le centre ne pourra pas enregistrer celle-ci et/ou ne notifiera pas cette demande d’arbitrage au défendeur.

Notons qu’une saisine irrégulière peut avoir des conséquences dommageables pour la partie invitée à régulariser sa demande d’arbitrage qui ne se conforme pas à cette exigence, si notamment le délai conventionnel ou légal pour agir avait expiré entre-temps.

En effet, comme toute demande en justice, la demande d’arbitrage interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion (C.civ., art. 2241) et vaut mise en demeure, faisant courir les intérêts moratoires (C.civ., art. 1153).

Certains règlements précisent explicitement que la réception de la demande d’arbitrage vaut interruption de la prescription de l’action, telle qu’établie par la loi ou par le contrat. En plus du règlement qui peut fixer certaines modalités pratiques quant à la demande d’arbitrage, il est aussi loisible aux parties de vérifier dans la convention d’arbitrage d’autres modalités particulières, notamment les délais d’action. Par exemple, si les parties ont inscrit dans la clause compromissoire un délai de forclusion, le demandeur devra alors penser à respecter ce délai.

A cet égard, citons un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui, saisie d’un recours en annulation contre une sentence rendue sous l’égide de la CAIP, a rappelé que la clause de son Règlement prévoyant que le défaut de versement de la provision de frais d’arbitrage entraîne le retrait de la demande d’arbitrage a pu, sans violer l’ordre public, être interprétée comme valant désistement de la part du demandeur5.

En l’espèce, les parties avaient prévu contractuellement un délai de forclusion de l’action si elle n’était pas intentée dans les six mois de la survenance du litige. Une première demande avait été effectuée auprès de la CAIP, mais le requérant n’ayant jamais versé les frais d’arbitrage, celle-ci lui avait fait savoir que sa demande était réputée retirée. Il a par la suite souhaité saisir à nouveau la Chambre, mais cette fois, le délai de forclusion était dépassé, il ne pouvait donc plus agir.

La Cour d’appel de Paris analyse un tel comportement du demandeur comme un désistement d’instance dont la principale conséquence juridique est l’extinction de cette instance. Le désistement dessaisit le centre. Dès lors, les délais de prescription et de forclusion de l’action continuent de courir, bien que l’action ne soit pas éteinte. Rappelons à ce sujet que l’article 2243 du Code civil décide qu’en cas de désistement, il n’y a jamais eu d’interruption, elle est « non avenue », sauf s’il est motivé par l’incompétence ou s’il y a une réserve de la part de son auteur de son intention de reprendre l’instance.

Ainsi, le non-respect des formalités requises au stade de la demande d’arbitrage entraînera l’abandon par la partie demanderesse de sa demande d’arbitrage.

Pour autant, l’abandon n’empêche pas les parties de réintroduire l’instance ultérieurement.

Il reste que les parties qui souhaitent saisir un centre d’arbitrage d’une demande doivent s’assurer que cette demande respecte à la fois les formes requises par son règlement, à défaut de quoi la demande sera irrégulière et ne pourra être enregistrée, et, le cas échéant, les obligations fixées par la convention d’arbitrage elle-même, comme l’instauration d’un délai de forclusion par exemple.

  1. Les conditions spécifiques

Pour que chaque partie à la convention d’arbitrage puisse saisir le centre d’arbitrage, il faut une désignation précise de ce centre. Pour comprendre cette exigence, il convient de préciser que la saisine d’un centre d’arbitrage se fait en vertu du contrat d’organisation de l’arbitrage qui se forme lors de la convention d’arbitrage faisant référence au règlement d’arbitrage6. Aux termes de cette convention, les parties manifestent leur volonté de soumettre leur différend à l’arbitrage organisé par le centre saisi selon son règlement. Dans cette optique, l’examen de la compétence prima facie (de prime abord) effectué par les centres d’arbitrage permet une première vérification de l’exactitude de la désignation de ce centre par les parties dans leur convention d’arbitrage (A). Toute la question est parfois de cerner les parties à cette convention (B).

  1. Une désignation précise, simple et efficace

Selon un auteur, « la désignation d’une institution d’arbitrage est forcément intuitu personae »7. C’est la raison pour laquelle la référence au centre d’arbitrage doit être clairement identifiée dans la convention d’arbitrage. La convention d’arbitrage doit être précise, simple et efficace.

La demande d’arbitrage doit indiquer la convention d’arbitrage sur la base de laquelle l’arbitrage a été commencé et argumenter sur cette base que le litige relève de la compétence du centre saisi. La plupart des règlements d’arbitrage le précisent expressément.

Certains règlements d’arbitrage des membres de la Fédération des centres d’arbitrage confèrent aux centres d’arbitrage des compétences administratives particulières, leur permettant de s’assurer que la convention d’arbitrage leur donne précisément compétence pour organiser le litige, avant même que le tribunal arbitral ne soit saisi à ce stade.

En pratique, les centres vont vérifier l’existence de leur désignation dans cette convention d’arbitrage – à ne pas confondre donc avec la vérification de ladite convention dont l’appréciation relève de la compétence du tribunal arbitral. A défaut, l’arbitrage ne pourra avoir lieu selon le règlement de cette institution, sauf accord du défendeur.

Il est aussi possible que le centre d’arbitrage refuse d’organiser l’arbitrage en invoquant l’absence de convention ayant pour objet sa désignation

Certains règlements prévoient que la clôture du dossier, en cas de clause compromissoire ne comportant pas la désignation du centre, a lieu à l’expiration du délai offert au défendeur pour formuler sa réponse de sorte que l’institution informera les parties que l’arbitrage n’aura pas lieu devant elle.

Somme toute, si la convention d’arbitrage vise explicitement l’institution, l’examen prima facie donne lieu à la saisine de l’institution concernée, qui se chargera alors de constituer un tribunal arbitral conformément à son règlement. A l’inverse, le centre ne pourra pas organiser l’arbitrage en l’absence de la volonté concordante des parties.

Mais qu’en est-il de la convention d’arbitrage ambiguë ? Dans ce cas, l’examen opéré par le centre sera compliqué, puisque cela signifie que l’on est en présence d’une clause que la pratique qualifie communément de « clause pathologique ».

Il peut s’agir d’une clause ne visant pas suffisamment précisément le centre saisi d’une demande, n’y faisant aucune référence explicite, visant une institution qui n’existe pas, par exemple, « Chambre de commerce internationale de Genève »8, une institution qui n’existe plus ou d’une clause se référant à plusieurs institutions d’arbitrage.

Lorsque le nom de l’institution désignée dans la convention désigne en réalité un autre centre d’arbitrage, elle informera les parties qu’elle ne peut organiser l’arbitrage, les invitant ainsi à saisir la bonne institution.

Certains règlements d’arbitrage régissent eux-mêmes le cas de leur changement de dénominationLorsque la convention d’arbitrage ne fait aucune référence explicite à l’institution saisie par le demandeur, celle-ci se trouve dans l’obligation de lui notifier l’impossibilité pour elle d’organiser l’arbitrage sauf acceptation du ou des défendeurs. Il n’en demeure pas moins que les parties restent liées par une convention d’arbitrage et peuvent alors soit se mettre d’accord sur une institution, soit saisir le juge d’appui pour qu’il concoure à la mise en route de l’arbitrage soit en désignant un centre soit en mettant en place le tribunal arbitral. Cependant, dans la célèbre affaire Cubic9, la clause compromissoire ne faisait référence à aucune institution pour organiser l’arbitrage. Le demandeur a saisi la Cour d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale, et celle-ci a estimé être compétente pour organiser l’arbitrage au motif que le défendeur, avisé de l’introduction de la demande d’arbitrage, avait conformément au Règlement du centre, renvoyé un mémoire en réponse puis désigné un arbitre. Sa réponse a alors permis, pour le centre, de fonder sa compétence malgré l’absence de référence explicite dans la clause compromissoire.

Lorsque la clause compromissoire désigne plusieurs centres d’arbitrage compétent, celui saisi est bien désigné par la clause. Ainsi, en principe, le centre devra organiser l’arbitrage. Ce sera par la suite au tribunal arbitral de se prononcer, en cas de contestation par l’une des parties litigantes quant à sa compétence, sur la validité d’une telle clause prévoyant la possibilité de saisir plusieurs institutions d’arbitrage différentes en cas de litige. La jurisprudence française10 a jugé qu’une clause, donnant le choix au vendeur entre deux organismes d’arbitrage différents mais auquel le contrat se référait expressément, ne comportait aucune ambiguïté.

  1. Le consentement des parties à la convention

La saisine d’un centre d’arbitrage est subordonnée au consentement des parties. Encore faut-il déterminer ce que l’on entend par le terme « parties ».

En principe, les parties à l’arbitrage sont les mêmes que celles signataires de la convention d’arbitrage. Cependant, il est possible que les parties aient changé entre le moment de la signature de la convention d’arbitrage et celui de la saisine du centre pour un litige, par exemple, lors d’une opération de cession de contrat ou de fusion d’une partie avec laquelle le demandeur a contracté. Quelle partie devra poursuivre la partie défaillante : la partie qui était à l’origine du contrat ou la partie actuelle ? En deuxième lieu, l’arbitrage peut comprendre non pas deux parties (un demandeur et un défendeur) mais un ou plusieurs demandeurs face à un ou plusieurs défendeurs. (2)

  1. La circulation de la clause compromissoire

Il arrive en pratique que les parties à la convention d’arbitrage aient changé entre sa signature et le moment de la saisine du centre : cession de contrat, cession de créance, signature de contrats d’exécution dans le cadre d’un ensemble contractuel. Le centre se trouve donc saisi par une personne qui est devenue partie au contrat contenant la clause compromissoire après la signature de celui-ci.

En présence d’un compromis, cela ne soulève aucune difficulté car la signature du compromis est contemporaine à la saisine du centre choisi par les parties pour organiser l’arbitrage.

En revanche, en présence d’une clause compromissoire, contenue dans un contrat, la désignation des parties peut poser problème. En effet, elle devrait, en principe, ne s’imposer qu’aux parties à ce contrat. Or, après la signature du contrat, les parties ont changé.

Il convient donc de se demander si la convention d’arbitrage se transmet à cette nouvelle partie car toute saisine par une personne non liée par la clause compromissoire ne serait pas recevable.

Si une analyse approfondie de cette question dépasserait le sujet du présent article, rappelons tout de même la jurisprudence en la matière. En matière de cession de contrat, le cessionnaire devient partie au contrat cédé, il y a donc un transfert des droits et obligations du cédant vers le cessionnaire. En conséquence, le cessionnaire sera bien tenu par la clause compromissoire convenue entre le cédant et son cocontractant11.

La Cour de cassation confirme ce raisonnement en matière de cession de créance quand bien même cette dernière n’emporte en principe que le transfert de la créance12.

En matière d’ensemble contractuel, d’après la Cour de cassation, la clause compromissoire se transmet à tous les maillons de la chaîne, que la chaîne de contrat soit translative de propriété et homogène – une vente suivie d’une autre vente13 ou hétérogène – une vente suivie d’un contrat d’entreprise14 ou encore qu’elle soit non translative de propriété, la clause compromissoire se transmet aussi au sous-traitant qui en a eu connaissance et a participé à l’exécution du contrat 15.

  1. La pluralité des parties

Dans l’hypothèse où la procédure arbitrale doit avoir lieu entre plusieurs parties, il est indispensable de vérifier si toutes des parties sont bien liées par la clause d’arbitrage.

En pratique, lorsque la clause compromissoire est comprise dans un contrat multipartite, chaque signataire est lié par la clause, et peut donc saisir le centre compétent ou être attrait en tant que défendeur. Les complications surviennent lorsque le demandeur agit contre plusieurs défendeurs, dont certains ne sont pas parties au contrat à l’origine du litige. Ainsi, il reviendra au centre, si son règlement le prévoit, de décider si un tel défendeur est susceptible d’être attrait devant la juridiction arbitrale. En principe, le centre, qui ne mène aucune enquête mais applique son Règlement, estimera, selon les circonstances, que le demandeur peut attraire un défendeur non-signataire, le tribunal arbitral étant juge de sa compétence à son égard.

A l’inverse, il est possible que la demande d’arbitrage soit formulée par plusieurs demandeurs dont tous ne sont pas parties au contrat. Dans pareille situation, il est en principe impossible au demandeur non-signataire de saisir le centre d’une demande d’arbitrage. Ainsi, sa demande serait irrecevable, sans pour autant que celles des autres demandeurs, signataires du contrat, ne le soit aussi. Cependant là aussi selon les circonstances la solution de la question de compétence peut être laissée au tribunal arbitral juge de sa compétence.

1 1450 al.2 du Code de procédure civile

2 TGI Paris, 23 juin 1988, Rev. arb. 1988, p.657, note Fouchard

3 V. Droit de l’arbitrage interne et international, C. Seraglini et J. Ortscheidt, Domat Montchrestien

4 L’Arbitre, Thomas Clay, thèse, Dalloz

5 CA Paris 24 janvier 1992, Affaire Ferruzzi c/ Usacel, Rev. Arb. 1992, n°4, p.640, Note J. Pellerin

6 CA Paris, 22 janvier 2009

7 Eric Loquin, Rev. arb. 1990, p.473

8 CA Paris, 28 octobre 1997, Rev.arb.1998, p.399

9 CA Paris 15 septembre 1998, société Cubic, JDI 1999.162, spéc. p. 175, note E. Loquin

10  CA Paris, 1re Ch. Suppl. 19 février 1988, Rev. Arb. 1990, p. 657

11 Com., 28 mai 2002, Cimat, Rev. arb. 2003 p.397, Note D. Cohen

12 Civ. 1re, 19 octobre 1999, Affaire Banque Générale du Commerce

13 Civ. 1re, 6 févr. 2001, Affaire Peavey, Le transfert de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats après l’arrêt Peavey, Cah. arb. Gaz. Pal., juill. 2002, p. 87, Note Seraglini

14 Civ. 1re, 27 mars 2007, Affaire Alcatel Business Services, D. 2007, p. 2077, Note S. Bollée

15 Civ. 1re, 26 octobre 2011, Affaire Constructions Mécaniques de Normandie (CMN), Journal du Droit International (Clunet), octobre 2012, n°4, Note S. Hotte

 

Publié dans « L’arbitrage institutionnel en France », sous la direction de Bertrand Moreau, Bruylant, 2016