La Soft Law en pratique

 

La Soft Law (littéralement le « droit mou » ou « droit souple ») désigne un ensemble de « règles » dont l’objet tend à la formulation de comportements souhaitables. Ces règles n’ont ainsi pas de caractère contraignant à proprement parler, ou du moins d’un point de vue juridique, même si la réalité semble tout autre.

La Soft Law existe dans bien des domaines. En effet, les recommandations, suggestions, codes de conduites, guidelines ou directives ne sont que des instruments à la disposition des opérateurs du commerce. Ils n’ont en eux-mêmes aucune valeur obligatoire, ils ne lient les parties au contrat que dans la mesure où ces instruments auront été incorporés dans la volonté des parties. Les juges ou les arbitres peuvent s’en inspirer, mais non les imposer aux parties.

La Soft law a une utilité incontestable pour combler des lacunes des normes internationales. Elle présente l’intérêt de fournir une aide à la décision.

Il existe un autre intérêt : la pratique a besoin de prévisibilité, de rapidité et de l’efficacité, donc de règles ou de documents standardisés, uniformisés et donc prévisibles. La Soft law joue un rôle important en ce domaine.

Enfin, certains constatent une dégradation des mœursdans le cadre d’un marché globalisé très concurrentiel. Dans ce contexte, l’éthique a une mission préventive. Il est devenu nécessaire denormativiser son comportementdes acteurs économiques et de disposer de guides de comportement. On peut comparer des rubriques entières qui n’y étaient pas encore il y a quelques années et qui visent le conflit d’intérêts. C’est l’œuvre des initiatives privées des acteurs économiques, parce que l’éthique joue un rôle de garde-fou à travers des valeurs auquel on croit.

La Soft law soulève d’abord une difficulté de principe : l’idée que l’application d’une norme puisse ne pas être suivie d’une sanction, parce que la Soft Law est un droit sans sanction, en tout cas, sans sanction juridique prévue. On énonce donc une règle qui n’est pas sanctionnée.

En réalité, on est dans un contexte où la sanction n’est jamais très loin, sauf que cette sanction est située dans le registre émotionnel : honte, culpabilité1 et fierté ou par pression du groupe professionnel, 2 et cela peut se révéler extrêmement efficace parce qu’il y a aujourd’hui un risque d’image.

Il y a quelques années, les opérateurs du commerce n’étaient pas conscients de ce risque, balance avantage-risque n’était pas encore déterminante. Aujourd’hui, leur image est un avantage de compétitivité. Un manquement à l’éthique comporte un risque. Les entreprises doivent veiller au respect de l’éthique. Il en va de leur crédit, parce qu’une relation de confiance s’établit avec leurs cocontractants que si elles ont une vraie éthique. Proposer un code de conduite, c’est d’abord prévenir des risques. On valorise la réputation et donne le sentiment que l’entreprise agit selon ses valeurs et cela a une valeur économique.

Cette difficulté en annonce une autre : si la Soft law n’est pas obligatoire, les acteurs économiques, par leur utilisation intense et automatique, l’ont rendu quasiment obligatoire. Il ne faut pas que la standardisation des pratiques empêche la souplesse. Il est ainsi intéressant de se demander si ces règles « molles » ne vont pas devenir des règles de droit dur : une entreprise qui violerait les valeurs éthiques essentielles commenterait une faute qui engagerait sa responsabilité.

Enfin, on constate une accumulation de ces règles qui génère une volonté de réguler la Soft law. La norme appelle la norme, comme le montre le perfectionnement constant des Codes d’éthique ou la coexistence de plusieurs Codes concurrents. Est-ce que cela ne va conduire à l’instabilité du droit souple et, donc à l’insécurité juridique ?

Au-delà des engagements internes, la Soft law s’applique au commerce international. Elle est la source de la lex mercatoria. S’agissant de l’arbitrage, la place des usages est grande. La soft law peut être rapproché de la coutume : tous deux représentent des usages. La soft law est une règle non contraignante fondée sur la pratique courante.

Des organismes privés édictent des règles relevant des usages la distinction entre la Soft law et les usages est délicate – le critère de distinction est l’enracinement dans les comportements passés et actuels, l’usage vise un comportement précis et identifié, à la différence du Soft law3 ou usage suppose un usage constant et régulier, considéré comme obligatoire une fois établi4) qui ne s’applique que pour eux, et le respect de ces règles serait assuré par les arbitres. Dans le cadre des arbitrages, la place des usages est réellement centrale, et le lien entre l’arbitrage et les usages est plus que naturel, il est indissoluble.5 La Soft law pourrait créer de nouveaux ordres juridiques, par exemple la lex petrolea ou la lex cerealis, favorisant ainsi le pluralisme juridique.

Les praticiens peuvent être à l’origine de la soft law en développant des pratiques qui deviennent des normes de marché. Ces pratiques sont issues des règles contraignantes en matière de responsabilité.

Les codes de bonne conduite, soft law des marchands énoncent des normes de comportement pour définir la déontologie des relations économiques internationales souhaitables. Mais lors de l’appréciation du comportement d’une partie, ces codes vont remplir la fonction de standard permettent aux arbitres d’apprécier le comportent des opérateurs. La notion de standard s’apparentera alors à celle de norme professionnelle. Ces codes de bonne conduite peuvent constituer un usage ou une coutume.

1 Alexandre Flückiger « Le rôle des émotions et des techniques de manipulation », Revue européenne des sciences sociales, 2009

2 Catherine Thiberge « Le droit souple », RTD civ.

3 P. Mousseron « Les usages de l’arbitrage », Petites affiches 13/02/2013, n°32

4 H. Letréguilly et L. Madden « Le soft law en matière financière : le point de vue des praticiens »

5 J-B. Racine « Les usages dans l’arbitrage commercial international : une place à géométrie variable »