Le contrat commercial est caractérisé par la réciprocité dans engagements entre les parties contractantes. Idéalement, le meilleur contrat est celui qui est construit sur le respect mutuel des parties prévoyant ainsi les engagements équivalents. Le droit contractuel repose sur l’égalité des parties au contrat. Or, la réalité économique est parfois plus complexe, les rapports inégaux peuvent s’établir entre les parties qui seront nécessairement reflétés dans leur contrat.
Pour rétablir les engagement équivalents des parties, le législateur à recours à la notion de « déséquilibre significatif ».
Le déséquilibre significatif : qu’est-ce que cela signifie ?
La loi ne définit pas cette notion juridique mais le «déséquilibre significatif » est destiné à évaluer si une clause contractuelle est abusive. Le juge français a le pouvoir d’annuler la clause contractuelle qu’il juge abusive ou la déclarer non-écrite.
Cette clause (ou souvent les conditions générales) doit être portée à la connaissance du cocontractant pour qu’il connaisse son existence et son contenu et les circonstances doivent établir que ce contractant l’a acceptée (1119 du Code civil).
Comment savoir quelles clauses peuvent être jugés déséquilibrées ?
La notion de déséquilibre significatif est insérée dans le Code de commerce, dans le Code de la consommation et dans le Code civil qui forment un ensemble cohérent.
- Un rapport de force entre les partenaires commerciaux
Le déséquilibre significatif est prévu par l’article L.442-1- I -2° du Code de commerce. Cet article interdit de «soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». La soumission à une clause est ainsi une condition nécessaire de ce dispositif. Pour qu’il y ait déséquilibre significatif, il faut qu’il existe un rapport de force.
Cette condition de soumission laisse penser qu’il faut observer le contexte préexistant à la conclusion des contrats, la situation des partenaires et le type de leur relation. L’application de cette règle se déploie principalement dans des relations de dépendance économique.
Le partenaire doit contracter ou tenter de contracter des obligations qui sont significativement déséquilibrées dans les droits et obligations des parties. Le co-contractant doit profiter ou vouloir profiter de son pouvoir pour imposer à son partenaire commercial des obligations qui relèvent de ses propres devoirs et qui sont à son seul bénéfice.
Le juge va apprécier le déséquilibre globalement. Il devra établir l’existence d’un rapport de force, d’une soumission, caractérisé notamment par l’absence d’alternative contractuelle pour la « partie faible » mais aussi apprécier les circonstances qui entouraient la conclusion de la clause, comme l’absence de négociations ou l’existence de plusieurs contrats interdépendants.
Qui est concerné ? Au visa de cet article, toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services peut être sanctionnée au cas où il impose des clauses abusives à son partenaire commercial. Le secteur de l’activité dans lequel il agit n’a aucune importance. Mais, la notion de « soumission » laisse penser que cet article a vocation à s’appliquer aux relations inégalitaires.
Quel contrat ? Cet article s’applique à tout contrat conclu entre partenaires commerciaux caractérisé par la dépendance. Les contrats qui pourraient être concernée par la notion de déséquilibre significatif sont notamment les contrats de distribution, de franchise, de concession, d’agence commercial.
Quel déséquilibre ? L’article peut sanctionner tout type de déséquilibre.
Quelle sanction ? Il s’agir d’une action en responsabilité afin d’obtenir la réparation d’un préjudice.
Par exemple, un producteur de légumes de taille modeste contracte avec une entreprise de grande distribution. Le contrat prévoit qu’il peut être résilié si le producteur ne vend pas un tonnage minimum de légumes par mois. Une autre disposition du contrat prévoit que l’entreprise de grande distribution peut, à tout moment et sans l’accord du producteur, modifier ce tonnage minimum que le producteur est tenu de livrer par mois.
Le clause le permettant est susceptible de susciter des inégalités car elle permet à l’entreprise de rendre unilatéralement le contrat plus difficile à respecter pour le producteur. Une telle clause est susceptible de provoquer un déséquilibre significatif dans les droits des parties à l’accord, et cette clause n’est pas nécessaire pour protéger les intérêts légitimes du producteur.
- Un rapport de force découlant d’un contrat d’adhésion
Le principe de la force obligatoire des contrats, énoncé à l’article 1103 du code civil, selon lequel les contrats doivent s’exécuter de bonne foi, est une exigence d’ordre public en droit français.
Cependant, la force obligatoire des contrats doit désormais être examinée au prisme de l’équilibre contractuel.
Depuis 2016, cette notion est introduite également à l’article 1171 du Code civil qui dispose que : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite.»
Le texte vise uniquement les clauses accessoires du contrat, c’est-à-dire les clauses qui sont susceptibles de faciliter ou de permettre l’exécution de la prestation principale. En effet, ce dispositif exclut :
- d’une part, l’objet principal du contrat ni l’adéquation du prix, c’est-à-dire l’obligation principale de chacune des parties (fourniture d’un bien ou d’un service et paiement d’un prix) et,
- d’autre part, l’adéquation du prix à la prestation, c’est-à-dire l’inadéquation entre le prix et la valeur du bien ne saurait être apprécié au titre du déséquilibre significatif.
Le déséquilibre significatif doit faire l’objet d’une analyse globale et concrète du contrat. C’est l’absence de contrepartie ou la contrepartie disproportionnée ou l’absence de réciprocité des dispositions contestées qui constituent les critères pour apprécier le déséquilibre significatif.
Qui est concerné ? Ce principe est plus général mais l’application de ce dispositif est réservée aux contrats qui ne sont pas régis par un texte spécial. En général, il s’agit des parties qui n’ont pas la même puissance de négociation.
Quel contrat ? Ce dispositif s’applique au seul contrat d’adhésion (art. 1170 du code civil).
Le contrat d’adhésion est un contrat accompagnés des conditions générales rédigée de manière abstraite, standardisée et préétablie. La contrepartie de celui qui propose ces conditions générale n’a aucun pouvoir de les négocier. Ces conditions générales sont soustraites à la négociation, étant déterminées à l’avance par la parties qui les propose Trois éléments caractérisent le contrat d’adhésion: la présence de conditions générales, les clauses prédéfinies proposées unilatéralement par l’une des parties et l’absence de négociations des clauses de ces conditions générales. C’est dans les détails d’un contrat d’adhésion que les clauses abusives se cachent d’ordinaire.
L’adhésion place la partie faible du contrat dans l’impossibilité d’exercer une quelconque influence sur tout ou partie des clauses qu’ils contiennent et qui cachent souvent un déséquilibre.
Cependant, l’appréciation du déséquilibre significatif est assortie d’une exception qui exclue l’objet principal du contrat et l’adéquation du prix à la prestation. Ce n’est donc ni un contrôle des obligations essentielles, ni un contrôle de l’équivalence des prestations (art.1168 du code civil).
Aussi, seraient principalement concernés les contrats entre particuliers ne relevant pas déjà d’un droit spécial ainsi que les contrats conclus par les professions libérales, dont l’activité ne relève pas du champ commercial.
Quel déséquilibre ? Le déséquilibre contractuel doit être provoqué par une absence d’égalité, de réciprocité entre les droits et obligations des parties d’un contrat, sans justification ou contrepartie, et au détriment de l’une d’elles.
Les obligations essentielles sont celles en considération desquelles les parties ont contacté (art.1133 du code civil).
Quel sanction ? Toute clause abusive au sens de l’article 1171 précité sera réputée non écrite. Cette notion permet de supprimer la clause litigieuse à l’égard de la partie faible. La clause réputée non écrite est considérée comme n’ayant jamais existé, raison pour laquelle aucune prescription ne court.
- Un déséquilibre à l’égard d’un consommateur
Les relations de consommations sont marquées par l’inégalité entre les compétences techniques relatives aux biens ou services et les connaissances des données . Dès lors, le consommateur est placé, dans sa relation au professionnel, dans une situation de dépendance.
Une clause abusive peut créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties en application de l’article L. 212-1 du code de la consommation qui énonce que : « Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat… L’appréciation du caractère abusif des clauses … ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»
Qui est concerné ? Ce dispositif a vocation de régir les relations des consommateurs qui contractent avec un professionnel.
Cependant, il a été jugé qu’un professionnel peut se prévaloir des dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives lorsque l’objet du contrat échappe à sa compétence professionnelle, de sorte qu’il se trouve dans le même état d’ignorance que n’importe quel autre consommateur (Cass. com., 15 mai 2019, n°18-11-550).
Quel contrat ? Il s’agit d’un contrat conclu entre professionnels et consommateurs ou non-professionnels.
Le législateur a établi une liste des clauses qui sont présumées abusives (R.212-1 du code de la consommation), une liste des clauses présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire (art. R-212-2) et les transactions exclues de ces listes (art.R.212-3).
Quel déséquilibre ? Le déséquilibre significatif peut résulter principalement de deux hypothèses : si la responsabilité de la « partie forte » du contrat est considérablement limitée ou exclue ou si « la partie faible » du contrat s’est vue imposer des obligations extrêmement rigoureuses.
Quel sanction ? Une clause abusive qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties peut être déclarée nulle
Par ailleurs, dans un arrêt récent de la Cour de cassation en date du 26 janvier 2022, celle-ci précise la répartition des textes applicables entre droit commun et droit spécial.
- Et dans un contrat international ?
Il faut savoir que concernant les contrats internationaux, les juges français ont la faculté de sanctionner les entreprises étrangères qui imposent ces clauses à leurs partenaires commerciaux.